Disclaimer
Cet article sur le cadrage fait partie d’une série, qui est en grande partie la traduction en français d’articles en anglais provenant de mon blog préféré sur la street photography, celui d’Eric Kim. Il s’est imposé comme la référence en la matière. Ses articles sont denses, intéressants et très accessibles, vous ne trouverez pas d’équivalent dans un livre ou dans un magazine. J’ai la chance de pouvoir lire l’anglais assez facilement et je vais vous en faire profiter. Mettre sur son blog du contenu d’un autre site, c’est une idée un peu incongrue au départ. Cela l’est moins si l’auteur du contenu d’origine l’a rendu open source et si il y a également un travail de traduction et d’enrichissement dessus.
J’ai malgré tout hésité, puis j’en suis venu à la conclusion que le but du blog était avant tout de permettre au plus grand nombre de bénéficier de conseils gratuitement. Le texte ne sera pas totalement fidèle, il y aura des choses modifiées, supprimées et ajoutées, car oui cela ne sera pas qu’un exercice de traduction, je vais ajouter également mes commentaires. Donc si vous connaissiez l’article en anglais vous pourriez bien apprendre des choses supplémentaires.
Le cadrage
Pour la leçon de « street photography » d’aujourd’hui, nous allons parler de cadrage. Le cadrage est une technique de composition plutôt basique, quelque chose d’incontournable quand nous avons tous commencé. Mais rentrons plus profondément dans le cadrage. Examinons quelques exemples avec des maîtres de la photographie et comment ils ont cadré de manière a retenir dans leur image de l’énergie, de la concentration et de la profondeur.
Définir le cadrage
Commençons comme souvent, par nous pencher sur la définition du mot en question, le cadrage.
La définition du Larousse est celle ci :
« Bordure rigide limitant une surface dans laquelle on place un tableau, un objet d’art, etc »
En photographie, toutes les images que nous crées sont des cadres. Nous décidons ce que nous intégrons à l’intérieur du cadre et ce que nous n’intégrons pas. Nous sommes sélectifs concernant les éléments à inclure ou exclure.
Par exemple, a chaque fois que nous prenons un sujet en photo, nous avons une multitude de possibilités. Chaque choix proposent une histoires ou une narration différentes.
Commençons par un exemple d’une photo d’Eric Kim. La photo montre un homme assis dans un train, il parait plutôt solitaire. Cette photo est issue de sa série « Suits » :
Si vous regardez la photo tel quelle, vous pouvez assumer que l’homme est seul avec personne autour de lui. Du moins c’est ainsi qu’il est cadré.
Cependant si nous nous intéressons a la planche contact de la série d’images, vous remarquerez que ce n’est pas le cas:
En réalité lorsque Eric Kim a vu l’homme dans le train (assis devant lui). Il l’a vu avec sa femme. Mais il a voulu inventé une histoire, l’histoire d’un homme seul. En réalité, il était assis a coté de sa femme :
Dans la première image, la femme a été exclue du cadre intentionnellement.
La première image sans intégré sa femme raconte un « mensonge » en se basant sur la réalité des faits. Malgré tout aucune photo n’est objective. Elles sont toutes subjectives. Le cadrage délibéré sans la femme est plus interessant aux yeux de l’auteur. Ne pas raconter toute l’histoire invite celui qui observe la photo à se faire sa propre histoire.
Rappelez vous quand vous cadrer une scène, vous devez prendre une décision de ce qu’il faut inclure et ce qu’il ne faut pas inclure.
La cadrage en composition
Lorsqu’il faut cadrer une scène, vous pouvez aussi ajouter une autre technique de composition, ajouter un cadre à l’intérieur de votre cadre. Avoir un cadre dans votre cadre, va ajouter plus d’attention à votre scène, vous allez guider le regard de l’observateur vers un point précis de votre image. Regardons en quelques exemples comment des photographes ont réalisé cela:
Dans cette excellente photo d’Alex Webb, on peut distinguer un homme en train de surfer sur une rivière, à travers de ce qui pourrait ressembler à la lunette de tir d’un sniper:
Le cadre (formé par le pont) attire l’attention dans la photo. Elle force l’observateur à regarder le surfeur (au lieu du cycliste à gauche). Elle met aussi mal à l’aise car elle donne le sentiment que le surfeur est surveillé par un sniper prêt a tirer.
Après avoir vu cette image, Eric Kim eu l’idée de prendre une photo similaire à Manille :
Si vous observez la photo, Eric Kim a prit cette homme derrière cette grille qui possède des motifs qui ressemble également a des lunettes de tirs:
Lorsque Eric a vu cette scène il s’est positionné de manière a ce que le visage de l’homme se retrouve dans la cible. Il adore cet air menaçant et la juxtaposition des coiffures d’hommes à droite du cadre.
Un autre excellent exemple de cadrage est la photo de Christopher Anderson issue de sa série « Capitolio »:
C’est certainement l’une des photographies les plus irrésistibles de son livre. Premièrement le nombre de rectangle et de carré présent dans la photo est très interessant visuellement:
Remarquez également comment « l’effet d’emprisonnement » formé par les bâtiments est fascinant. Il donne la sensation que l’homme (dans le reflet) est emprisonné dans la photo.
Peut être que si l’on pousse cette métaphore un peu plus loin, on pourrait imaginer que l’homme est piégé dans ses propres pensées.
Bien-sur ce qui est le plus séduisant dans cette photo est le fait que le reflet de l’homme se situe au niveau de sa propre tête:
La photo est surprenante et intrigue sur sa mise en scène. En tant que photographe, et ayant pratiqué les photos à travers des vitres ,on aurait plus attendu de voir le propre reflet du photographe à travers cette vitre. Or le résultat est tout autre. Le scénario le plus probable est que Christopher Anderson a prit la photo du reflet d’un homme (situé à l’intérieur du bâtiment). Derrière l’homme se situe un miroir, ce qui expliquerait pourquoi le bâtiment du fond est aussi présent dans le mini cadre. L’effet est d’autant plus puissant que l’immeuble et son reflet sont parfaitement alignés.
Si on met de coté comment la photo a été prise techniquement, elle fait penser à une photo comme dans le film « Inception ». Le photographe regarde à l’intérieur de l’esprit de son sujet et on a la sensation que son reflet va se répéter à l’infini dans l’esprit de l’homme.
Vous pouvez constater dans cet exemple, que le cadre a été crée par le biais d’un reflet.
Nous allons voir un autre exemple (plus tôt historiquement) par Lee Friedlander, qui a adoré prendre des autoportraits (en se cadrant dans la scène):
C’est interessant la manière dont cette photo est composée. Elle est pleine de formes géométriques. La bâtiment en arrière plan, les portes à droite et bien-sur l’homme en costume devant la Mustang. L’autoportrait au centre de la photo vient compléter l’ensemble:
La force de cette photo provient incontestablement du mini auto portrait situé au centre de l’image. Lee Friedlander doit probablement se prendre en photo dans un petit miroir situé derrière la vitre qui reflète la silhouette du photographe:
Le résultat est d’autant plus réussie qu’il y a un fort contraste entre le petit carré qui est plutôt blanc et l’ombre sombre du photographe qui l’entoure.
Passons à un classique d’Henri Cartier-Bresson. L’homme à droite dont on ne voit que la tête a une sacré allure : Il porte un chapeau, une superbe moustache et il a un reflet au niveau du verre gauche de ses lunettes. Et bien-sur le rond blanc du reflet des lunettes répond à la moitié du cercle au milieu de l’image.
Comme si cela n’était pas assez, il y a également « un cadre dans un cadre » autour de la tête de l’homme à droite:
Une autre petite touche, les rectangles se répètent entre eux à gauche et permettent d’équilibrer l’image.
D’une manière générale vous pouvez constater comment le dispositif du « cadre dans le cadre » met en valeur l’homme à droite du cadre. Toute l’attention est sur lui.
Et bien-sur juste après le regard se porte sur l’homme à gauche qui ajoute un intérêt supplémentaire à l’ensemble
En terme de contenu, cette photo est intrigante. L’homme de droite a quelque chose d’un « big brother ». Qui serait en permanence la pour observer avec un œil sinistre. Son imposante moustache ne laisse pas indifférent et peu rappeler celle d’un dictateur. Elle ajoute a son personnage un caractère menaçant et totalitaire:
Nous pouvons aussi remarquer que l’homme à la moustache semble regarder tout droit en direction de l’homme qui se faufile à travers la porte:
Pour résumé, cette photographie d’Henry Cartier Bresson est un chef d’oeuvre entre l’étrangeté du contenu et la composition de la photo entre le jeu de cadre et les cercles.
Un autre exemple de cadrage issue de la série “Japanese Women are Beautiful” de Charlie Kirk :
Ce qui retient l’attention en premier est bien-sur cette jolie femme au milieu qui observe son reflet dans le miroir de l’escalator. Son regard est troublant, la manière dont elle s’appuie sur la rampe semble un peu inconfortable. Enfin le jeu de cadre très géométrique qui l’entoure lui permet de bien la mettre en valeur:
Le cadre principal qui ancre le sujet dans l’image est illustré ci dessous:
Charlie a raconté à Eric Kim comment il a obtenu cette photo. Il a parcouru inlassablement de haut en bas cet escalator dans un centre commercial de Tokyo à chaque fois qu’il en avait l’occasion en espérant finir par obtenir ce qu’il voulez. Et un jour il a vu ce moment et il l’a su le capturer avec précision.
Ce qui pourrait constituer la cerise sur le gâteau, l’ingrédient spécial qui rend cette photo vraiment intéressante est la main de la femme à gauche du cadre:
Vous pouvez constater avec la photo de Charlie Kirk que le cadre ne doit pas être nécessairement rectangulaire. Il peut être multiforme et contenir différents angles.
Conclusion
Il y a plusieurs manières d’intégrer des cadres dans votre photo de rue, comme illustré avec les exemples précédents:
1. Décider quoi inclure dans le cadre et ce qu’il ne faut pas inclure dans le cadre:
2. Avoir un cadrage comme une cible qui pointe directement sur votre sujet:
3. Obtenir un cadrage ou un auto portrait qui se superposent:
4. Avoir un cadrage plus fantaisiste, il n’a pas besoin d’être obligatoirement rectangulaire:
Le cadrage est l’un des aspects les plus fondamentaux de la photographie. Il semble tellement évident que l’on pourrait le négliger. Essayer toujours d’obtenir directement votre meilleur cadrage pendant la prise de vue même si vous savez que vous pouvez le recadrer ensuite en post production.
Il faut également avoir une attention toute particulière à ce qu’il se passe aux bords de votre cadre, en effet on a tendance à être hypnotisé parce qu’il se passe au centre de la photo et ne pas voir une main, une voiture ou autre occuper une place importante en périphérie de l’image. Cette main ou voiture qu’il sera facile de supprimer sur le terrain en se déplaçant légèrement, pourra s’avérer impossible à supprimer en post production.
Sortez et n’oubliez jamais votre cadrage quand vous prenez vos photos. Faites la mise au point sur votre sujet et ne laissez jamais le principe fondamentale du cadrage vous échapper.
2 Commentaires
Jean-Yves Lefèvre
novembre 7, 2023 at 5:59 pmJe viens juste de commencer à vous lire, merci beaucoup, c’est très intéressant…Je fais des photos depuis bien longtemps mais je ne les ai jamais vraiment travaillées….Je viens de lire vos leçons sur les tiers (que je connaissais déjà, mais il est bon de faire des piqûres de rappel) et les lignes de fuite (dont je n’avais qu’une vague idée.. Merci encore
admin
novembre 9, 2023 at 10:44 amMerci ! Avec grand plaisir !